Pâques nous rappelle l'antique tradition juive où l'on sacrifiait des agneaux en l'honneur de Dieu. Jésus a aboli la tradition des sacrifices d'animaux, et son sacrifice fait de lui littéralement l'agneau de Dieu. Cette histoire nous rappelle aussi par analogie l'histoire d'Abraham, prêt à sacrifier son fils Isaac sur la demande de Dieu, mais un ange apparaît alors, et c'est un bélier qui sera sacrifié à la place d'Isaac. Une variante existe également dans l'Iliade d'Homère, dans laquelle le roi Agamemnon s'apprête à sacrifier sa fille Iphigénie pour se faire pardonner de la déesse Artémis, mais au dernier moment, Artémis prise de pitié lui substitue une biche, et c'est cette biche qui est sacrifiée.
A l'époque antique, on sacrifiait des animaux aux Dieux, puis on les faisait griller, pour que les dieux puissent profiter du fumet dégagé par ce barbecue sacrificiel. Mais étant entendu que les dieux se contentaient de humer le plat, ce sont les humains qui mangeaient ensuite la viande rôtie. De tout temps, l'abattage des animaux a eu un lien avec le sacré.
Aujourd'hui encore, dans les quelques sociétés de chasseurs / cueilleurs qui subsistent dans les coins reculés de la planète, il est souvent question de demander pardon à l'animal, ou de demander la permission aux dieux de tuer l'animal. Étant entendu qu'on ne tue jamais un animal gratuitement, mais pour le manger, et utiliser éventuellement sa peau et le reste pour se faire des vêtements, chaussures, etc. Il n'y a que dans notre société, dans laquelle tout ce qui est sacré ou en lien avec le spirituel est suspect, que l'on a réifié les animaux (ce n'est pas pour rien qu'on appelle la chair congelée "minerai"), en leur niant jusqu'à leur dignité d'êtres vivants.
Ce n'est pas tant le fait que l'on tue des animaux qui me gêne, c'est le manque de considération qu'on a à leur égard quand on les élève et qu'on les tue, et le manque de respect pour leur chair qui nous nourrit. On ne devrait jamais avoir à jeter la chair d'un animal sans la manger, faute de quoi il sera mort pour rien. Comme je le disais il y a quelques semaines, physiologiquement nous sommes faits pour manger de la viande et du poisson. Nous ne sommes pas des herbivores, nous mourrions rapidement si nous ne devions manger que de l'herbe. Chaque civilisation de par le monde a une alimentation traditionnelle (je parle avant Macdo) qui remonte à des milliers d'années, et dans tous ces régimes alimentaires il y a de la viande et/ou du poisson.
Certaines tribus se nourrissent d'ailleurs quasi-exclusivement de nourriture animale, comme par exemple les éleveurs nomades dans l'est de l'Éthiopie, qui se nourrissent du sang frais de leurs brebis et de leur lait, ou les tribus de pêcheurs du Grand nord (enfin ce qu'il en reste), qui se nourrissent pour l'essentiel de poissons et de mammifères marins. Cela prouve donc que notre organisme nous permet de nous nourrir avec ça, nous avons été programmés pour ça. Et sous les climats les plus rudes, là où il fait froid et où pas grand chose ne pousse, seule la chair animale permet de trouver les calories suffisantes pour survivre. La graisse solide est le combustible le plus énergétique possible pour l'organisme, mais aussi le plus facile à trouver. C'est une chose de se nourrir de salades l'été quand il fait 30°, mais quand il fait -10° il est temps de passer à des choses plus consistantes.
C'est pourquoi lorsqu'on me dit qu'il est cruel de tuer des animaux, et que nous devrions nous contenter de végétaux, ma réponse est aujourd'hui, après avoir longuement réfléchi sur le sujet, qu'il est vrai que c'est cruel de tuer des animaux, mais il est sans doute très imprudent de décréter que nous pouvons nous passer de cette alimentation parce que nous l'avons décidé, sans avoir aucune idée des conséquences à long terme qu'un tel régime peut avoir sur notre survie.
Quand j'avais 20 ans et que j'avais une idée originale, je me disais "super, personne n'a jamais eu cette idée puisque je ne la vois nulle part mise en œuvre. Je vais me lancer sur ce créneau !".
Depuis, j'ai compris que si vous ne voyez nulle part votre idée déjà à l'œuvre, c'est que c'est très souvent une mauvaise idée. En effet, quand on ne voit personne qui utilise votre idée, ce n'est pas forcément que personne ne l'ait eue avant vous, c'est que tous ceux qui l'ont eue avant vous ont échoué (enfin bon, on peut quand même avoir des idées novatrices de temps en temps ;-) . Échouer, dans le cadre d'un régime alimentaire, cela signifie mourir, comme ce scientifique du XIXe dont j'ai oublié le nom, qui avait eu l'idée de respirer simplement l'odeur des plats pour se sustenter, persuadé que cela suffirait à le nourrir. Il est mort assez rapidement.
C'est pourquoi le fait qu'aucune civilisation traditionnelle arrivée jusqu'à nous ne soit végétalienne, sans même rentrer dans le débat nutritionnel, fait que j'ai des doutes sur la survie à long terme d'un groupe humain qui s'en tiendrait à ce régime. Les végétaliens modernes ne sont peut-être pas les premiers à en avoir eu l'idée. Mais bon chacun est libre de faire ce qu'il veut ! Personnellement je ne ferai pas d'expérience de ce genre sur ma personne, ni sur ma famille.
Alors ceux qui pensent qu'il est possible aujourd'hui de se nourrir sans tuer d'animaux, ni même les traire ou manger leurs œufs, pensent être plus évolués que les tribus ancestrales, qui ont tout de même la qualité indéniable d'avoir survécu jusque là. Personnellement j'ai une autre théorie. Je pense que cette idéologie végétalienne est essentiellement récente, urbaine et occidentale, et issue d'une société qui a tout simplement perdu tout contact avec la nature. Avec la nature réelle, pas cette nature idéalisée, ce fantasme que l'on évoque à Paris ou New-York, lieux où précisément toute nature autre qu'anecdotique a disparu.
Les écologistes "ultra", qui militent pour la réintroduction du loup et de l'ours dans les Pyrénées alors qu'ils vivent à Paris, ignorent sans doute que l'ours, pour manger une brebis, effraie le troupeau tout entier et ce sont 50 brebis qui tombent dans le ravin. Il n'a plus ensuite qu'à se servir.
N'importe quel paysan des Pyrénées pourra vous le dire, mais ce genre d'infos passe rarement à la télé. On ne sait pas non plus que les vautours, dont l'espèce était en voie de disparition dans les mêmes montagnes il y a quelques années, se sont développés hors de toutes proportions à partir du moment où on a mis à leur disposition des carcasses d'animaux dans des charniers, et ce pendant des années, au nom de la sauvegarde de la diversité animale. L'administration a fini par se dire qu'il commençait à y avoir beaucoup de vautours, et a donc arrêt é de les nourrir (l'apprenti sorcier plein de bonnes intentions répare une erreur en en commentant une seconde).
Privés de cette corne d'abondance, les vautours ont donc commencé à effrayer les animaux d'élevage pour les pousser eux aussi dans le ravin et pouvoir ensuite les manger, et en arrivent même maintenant à s'attaquer à des vaches vivantes, qui disparaissent en deux ou trois heures sous une nuée de charognards. Mais comme personne n'en parle, on peut continuer à rêver de cette nature idéale, ce bisounoursland où les animaux sont gentils, une nature enfin débarrassée de l'emprise des méchants humains.
Nous avons mis la nature à distance, les Indiens ne pensent pas que la nature leur appartient ils pensent qu'ils appartiennent à la nature. Chez les Indiens il n'existe pas de dichotomie entre ce qui est "sauvage" et ce qui est "civilisé", c'est une même réalité continue. C'est nous, occidentaux, qui avons créé cette distance et nous sommes peu à peu séparés de cette nature jusqu'à y être de parfaits étrangers, un peuple hors sol qui développe de bizarres névroses sur la façon dont la nature devrait fonctionner, et la façon dont devraient se comporter les hommes qui vivent encore là-bas.
La nature, la campagne, la montagne, c'est boueux, ça sent le fumier, la bouse de vache, parfois même la charogne après le dégel, quand la carcasse d'un isard emporté par une avalanche pourrit tranquillement au soleil. Il y a des mouches, des moustiques, des épines. Souvent il pleut. Il peut faire froid, même en plein été. Les animaux sont malades aussi parfois, et puis ils meurent et nous sommes encombrés de leurs cadavres.
Les hommes aussi meurent, nous mourons tous. C'est cette réalité que notre monde urbain aseptisé, mécanisé, coupé de toute spiritualité, cherche à évacuer. Les masques grimaçants des stars liftées, botoxées, siliconées, anorexisées, respirent bien davantage la mort que la vie. La vie urbaine devient une course hallucinée pour oublier que nous sommes mortels : travail, alcool, drogues, musique omniprésente pour nous empêcher de réfléchir, un tourbillon d'activités inutiles pour s'enivrer. La perspective de la mort est évacuée dans les hôpitaux et les maisons de retraites. Même mort, les thanatopracteurs se dépêcheront de redonner à notre corps une contenance apaisée, comme si nous dormions. Jamais la mort dans toute son horreur ne doit nous apparaître. La mort est cette chose horrible qui se passe là-bas, très loin, au JT, chez les barbares où nos soldats font la guerre pour préserver notre monde merveilleux.
Mais les héros des séries télévisées sont maintenant explicitement des vampires qui sucent le sang des humains, comme dans Twilight, des serials killers, comme dans Dexter, des psychopathes comme le docteur House. Les zombies envahissent les écrans avant de se répandre sur la planète. Zombie ou la forme ultime de l'inversion alimentaire : le mort mange le vivant. La mort qu'on a chassée par la porte matérialiste envahit notre monde par la fenêtre symbolique, elle ne nous laissera pas de répit.
C'est peut-être d'une certaine façon par l'intermédiation du sacrifice des animaux que l'on mange pour pouvoir vivre qu'on peut accepter sa propre finitude, peut-être que cette histoire du dieu qui demande un fils en offrande et se contente d'un agneau n'est qu'une parabole destinée à ce que nous comprenions nous-mêmes que nous mourrons un jour comme cet agneau, et qu'il faut en prendre son parti.
Ce n'est qu'en acceptant de mourir avec sérénité, comme Jésus, Isaac et Iphigénie, que l'on peut commencer à vivre réellement.
*Chronique d'une mort annoncée, nouvelle de Gabriel Garcia Marquez
Texte pris de la newsletter de Christophe CERTAIN
http://www.cuisine-pied-noir.com/
Merci à Sophie Merle pour cette information.