Le cerveau humain aurait des capacités 10 fois supérieures à celles supposées par les scientifiques jusqu'à présent, révèlent des chercheurs américains.
"Ce résultat a l'effet d'une véritable bombe dans le domaine des neurosciences", annonce fièrement dans un communiqué Terry Sejnowski, neuroscientifique du Salk Institute à La Jolla, en Californie (États-Unis). Avec son équipe, il a mesuré la capacité de stockage du cerveau, et surprise : celle-ci est 10 fois supérieure aux estimations précédentes ! "L'équivalent d'au moins 1 pétaoctet (10 puissance 15), soit une capacité de grandeur proche de celle du World Wide Web", résume-t-il (une estimation a minima basée sur l'étude d'une petite zone du cerveau qu'il faudrait toutefois réévaluer nettement pour qu'elle soit réellement comparable au Web : même si la capacité de stockage de ce dernier est impossible à estimer, les 4 géants que sont Google, Facebook, Amazon et Microsoft stockeraient à eux seuls 1.200 pétaoctets de données...). Cette étude lève également le voile sur un mystère du cerveau. "Nous avons découvert la clé permettant de comprendre comment les neurones de l'hippocampe fonctionnent à pleine puissance en utilisant peu d'énergie, mais à pleine puissance", se réjouit le chercheur du Salk Institute, dont les travaux sont publiés dans la revue eLife. Explications.
Grâce à l'analyse de tissus cérébraux de rats, l'équipe de recherche a reproduit en 3D une petite partie de l'hippocampe, région jouant un rôle fondamental dans la mémoire. Une infime partie même, puisque la zone reconstituée fait à peine la taille d'un globule rouge, soit quelques micromètres. Toutefois, reconstituer l'ensemble des neurones, synapses (voir encadré ci-dessous) et cellules gliales (jouant un rôle de soutien et de protection du tissu nerveux) de cette zone s'est avéré laborieux. "Nous avons été quelque peu déconcertés par la complexité et la diversité des synapses", commente Kristen Harris, qui a pris part à ces travaux.
SYNAPSES. Nos pensées et nos souvenirs sont gérés par l’activité chimique et électrique de notre cerveau. Ces activités résident principalement dans les connexions entre les neurones : les synapses. Chaque neurone peut avoir des milliers de synapses, le connectant à de milliers d'autres cellules.
Cette reconstitution 3D (à découvrir dans la vidéo ci-dessous) a permis aux chercheurs de remarquer une activité inhabituelle pour 10 % des connexions synaptiques : un seul axone ("tête" du neurone) formé de deux synapses touche un seul dendrite ("queue" du neurone) d'un deuxième neurone, et non deux dendrites, ce qui signifie qu'un neurone envoie un double message à un deuxième neurone. Afin de mesurer la différence de taille entre cette paire de synapses utilisées par le neurone pour envoyer son double message, les chercheurs ont poussé la reconstitution des connectivités neuronales à un niveau nanomoléculaire, à l'aide d'une microscopie de pointe et d'algorithmes de calculs poussés. Et là, surprise : alors que les synapses sont habituellement classées en 3 catégories (petites, moyennes et grandes), les chercheurs ont découvert des tailles intermédiaires. "Nous avons été surpris de constater que la différence dans les tailles des paires de synapses étaient très petites, environ 8 % de différence de taille seulement", explique Tom Bartol, co-auteur de l'étude. "Personne n'imaginait une si petite différence." En fait, il n'existe pas 3 catégories de synapses, mais 26 selon ces travaux !
Découvrez la reconstitution 3D :
L'intérêt de cette découverte est qu'elle permet de mesurer le nombre d'informations pouvant être stockées dans les connexions synaptiques. "En langage informatique, 26 tailles de synapses correspondent à 4,7 bits d'information, précise Tom Bartol. Or, auparavant, nous pensions que le cerveau n’était capable que de stocker l’équivalent d'un ou deux bits de mémoire de courte et longue durée dans l'hippocampe." De plus, un cerveau adulte génère une puissance continue d'environ 20 watts (l’équivalent d’une ampoule basse consommation), ce qui signifie qu’il peut stocker des informations précises avec peu d’énergie.
Enfin, les calculs des chercheurs suggèrent que les synapses changent de taille et de capacité en fonction des transmissions neuronales. La réception de 1.500 transmissions réduit la taille des synapses, ce qui prend une vingtaine de minutes, tandis que quelques centaines ont tendance à les agrandir, ce qui prend une à deux minutes. "Cela signifie que toutes les 2 à 20 minutes, vos synapses grandissent ou rétrécissent. Elles s'adaptent en fonction des signaux reçus", résume Tom Bartol. Pour les chercheurs, leurs travaux pourront contribuer à développer des ordinateurs plus efficaces et peu énergivores. "Derrière le chaos apparent du cerveau, il y a une véritable précision quant à la taille et la forme des synapses qui nous avait toujours échappé", conclut Terry Sejnowski.