De Jean-Jacques Crevecoeur
Ce mois-ci, je vous lance le défi de poser davantage vos limites, de dire « non » plus souvent, de mettre fin aux concessions ! Cela peut sembler bien négatif, voire même paradoxal si l’on veut créer une meilleure vie. D’abord éliminer ! Et maintenant, poser ses limites ! Mais n’est-ce pas ce que font tous les jardiniers du monde, lorsqu’ils veulent donner une chance à la vie qu’ils cultivent ? Ne font-ils pas le nettoyage du terrain avant de semer des graines (défi #1)? Ne mettent-ils pas en place différents dispositifs pour protéger les jeunes pousses des animaux et des conditions climatiques (défi #2) ? Eh bien, c’est exactement dans ce même esprit que je vous invite à ces deux premiers défis ! Pour donner à votre vie une chance d’être meilleure, commencez par éliminer ce qui l’encombre et par la protéger de ce qui la menace !
APPRENDRE À POSER SES LIMITES
Notre éducation ne nous a ni encouragé, ni appris à poser nos limites. Bien au contraire. Chaque fois qu’enfant, nous avons osé protester ou manifester notre résistance à quelque chose qu’un adulte nous imposait, nous avons appris douloureusement ce que voulait dire le terme « autorité parentale ou éducative ». Et comme nous n’avions ni la force physique, ni la force psychique, ni les moyens verbaux pour nous opposer à nos éducateurs, nous avons intégré assez rapidement la soumission à l’autorité. À force de subir de manière répétitive les mêmes situations, nous avons fini par croire que les autres pouvaient disposer de nous selon leur bon vouloir !
La psychologie décrit ces situations comme de l’abus physique ou psychologique. Les cas extrêmes sont facilement identifiables : incestes, abus sexuels, violences physiques, manipulations perverses… À l’autre bout de l’échelle d’intensité, les petits abus quotidiens, faits de vexations, de non-écoute, de critiques, de jugements laissent des traces qui peuvent être, elles aussi, plus profondes qu’on ne le pense… Lorsque l’enfant vit ces situations d’abus, il ne dispose pas des repères nécessaires pour comprendre que ce que les autres lui font subir est illégitime ! Pire, l’enfant abusé finit par croire qu’il mérite le fait qu’on transgresse ses limites et qu’on ne respecte pas ses besoins. Ainsi, nous finissons par adopter cette croyance limitante : « Il n’est pas légitime que je pose mes limites, je n’ai pas le droit de mettre une barrière, de mettre une protection entre le désir de l’autre et mon besoin ! »
À partir de la puberté, une première occasion se présente à nous pour vivre ce qu’on appelle communément notre « crise d’adolescence ». Loin d’être négative, cette crise d’adolescence est non seulement salutaire, mais absolument indispensable et nécessaire pour construire notre capacité à prendre soin de nos besoins de manière consciente, autonome et responsable. Car c’est en rejetant (parfois violemment) ce que nous avons subi (physiquement ou psychologiquement) que nous nous réapproprions notre dignité et notre intégrité. Sans cela, nous risquons de poursuivre notre vie d’adulte en nous laissant abuser.
Ce n’est pas par hasard que Bronnie Ware a constaté que, chez les personnes en fin de vie, le regret cité le plus fréquemment comme le plus lourd était : « Je regrette de ne pas avoir eu le courage de vivre ma vraie vie et non pas celle que les autres voulaient pour moi ! » À cette confession ô combien douloureuse, on pourrait leur demander : « Mais qu’est-ce qui vous empêchait de poser vos limites ? » Et j’imagine d’ici la réponse triste et sourde de ces agonisants : « Maintenant que j’y réfléchis, en fait, rien ne m’en empêchait… Si ce n’est que je ne me suis jamais donné ce droit, cette légitimité de poser mes limites, de dire non, de ne plus faire de concessions… »
LE DROIT FONDAMENTAL DE DIRE NON !
Effectivement, si vous y réfléchissez un peu, vous constaterez vous-même que la plupart du temps, personne ne vous empêche de poser vos limites, si ce n’est vous-même ! On peut comprendre qu’enfant, vous n’avez pas su ou pas pu dire non ! Mais une fois adulte, vous avez peut-être oublié que les circonstances avaient changé ! La mauvaise nouvelle donc, c’est que vous avez été seul(e) responsable de votre malheur… Une fois adolescent ou adulte, vous ne vous êtes pas donné la permission de vous protéger, de mettre une distance, de poser vos limites. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est jamais trop tard pour faire votre crise d’adolescence ! Que vous ayez trente, cinquante ou quatre-vingts ans, il est vital pour vous d’apprendre à poser vos limites pour vivre votre vraie vie ! Et tant pis si les autres réagissent mal… La veille de votre mort, leur opinion n’aura plus grande importance. Par contre, vous vous féliciterez probablement de vous être choisi(e) vraiment !
Si vous hésitez encore à ce stade-ci de l’article, souvenez-vous que, parce que vous êtes un être humain, vous avez le droit inconditionnel de vous respecter, vous avez le droit et le devoir de choisir les choses que vous voulez vivre et celles que vous ne voulez pas ! Chaque fois que vous aurez tendance à flancher ce mois-ci (et les suivants), revenez à cette vérité universelle : « Tout être humain a le droit d’être respecté dans son intégrité et dans sa dignité… » Au besoin, allez relire le prologue de la déclaration universelle des droits de l’homme, signée le 10 décembre 1948, et qui commence par ces mots : « […] la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde […] » ! Alors, si même l’Organisation des Nations Unies l’a déclaré solennellement, qu’attendez-vous pour, vous aussi, faire cette déclaration solennelle envers vous-même ?
CONCRÈTEMENT, COMMENT POSER SES LIMITES ?
Pour poser vos limites, il vous suffit de suivre quelques étapes très simples.
- La première étape consiste à vous (re)donner la permission de poser vos limites justement, la permission de dire non, la permission de mettre fin aux concessions qui vous empoisonnent la vie. N’attendez plus qu’une personne extérieure vienne vous trouver un beau matin pour vous dire : « Tu sais, tu as le droit d’être respecté(e) dans ton intégrité en tant qu’être humain ! Tu as le droit de vivre la vie à laquelle tu aspires ! » Car cette personne ne viendra pas. Vous seul(e) pourrez vous donner cette autorisation libératrice !
- La deuxième étape consiste à faire l’inventaire de toutes les situations gênantes, humiliantes, inacceptables, dévalorisantes que vous vivez actuellement. Pour ce faire, prenez une feuille de papier (ou mieux, votre carnet intime), et notez en haut de la page : « Je ne veux plus… : ». Puis, écrivez, ligne après ligne, tout ce que vous ne voulez plus vivre, subir ou endurer ! C’est important que vous mettiez cela par écrit, car vous n’aurez certainement pas le temps de poser toutes vos limites en un jour ou en une semaine. Donc, vous pourrez y revenir plus tard, un peu comme si vous consultiez une liste de choses à faire… Sauf qu’ici, il s’agit plutôt d’une liste de choses à ne plus vivre !
- La troisième étape consiste à choisir l’ordre dans lequel vous allez passer à l’action. Vous pouvez commencer par des situations simples et peu dangereuses au niveau des conséquences… Pour vous aider, mettez par écrit ce que vous comptez dire aux personnes impliquées dans ces situations ! N’hésitez pas, même, à prendre votre carnet avec vous et à lire ce que vous avez écrit à votre interlocuteur. C’est comme cela que j’ai procédé, au début de mon processus de réappropriation… Je préférais paraître ridicule avec mes papiers que de rater l’occasion de poser mes limites.
- La quatrième étape consiste à adopter de nouvelles réactions lorsque les autres vous demanderont ou essayeront de vous imposer quelque chose. Par exemple, une stratégie qui m’a sauvé la vie un nombre incalculable de fois, c’était de dire cette phrase magique : « OK. J’ai bien entendu ce que tu voulais. J’y réfléchis et je te donne une réponse dans une heure (ou demain) ». Ainsi, je pouvais prendre le temps de m’interroger sans pression extérieure, et de vérifier si, oui ou non, ce qui m’était proposé était acceptable ou non. Et si ce ne l’était pas, il me suffisait de revenir et de dire à l’autre : NON !
À VOUS DE JOUER, MAINTENANT !
Je suis bien conscient que j’ai placé la barre très haut en vous proposant ce deuxième défi. Je sais que ça vous insécurise et que ça vous fait peur d’apprendre à dire non à l’autre. Si tel est le cas, la meilleure façon de trouver la force, le courage et la persévérance de relever ce défi, c’est de vous mettre en perspective de votre propre mort. Demandez-vous si la veille de votre trépas, vous ne regretterez pas d’avoir laisser les autres vous faire vivre une vie dont vous ne vouliez pas… Si la réponse est oui, vous saurez alors ce qu’il vous reste à faire ! Bon courage, et au mois prochain !
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